[EP.34] Le sortilège de bite : les conséquences méconnues du sexe pénétratif en tantra et tao

Cette semaine sur Vulvées, c’est une semaine dédiée à la non-pénétration avec une interview à venir dans quelques jours de Martin Page, auteur du livre « Au dela de la pénétration ». Dans son essai culte, il explique pourquoi se passer de la pénétration dans les relations hétérosexuelles serait une révolution sexuelle souhaitable pour les hommes comme pour les femmes, permettant une exploration réciproque du reste du corps et une sexualité imaginative.

Avant de partager cette interview avec vous, j’avais envie de vous raconter mon propre cheminement autour de la non pénétration, qui m’a fait arriver aux mêmes conclusions que Martin Page, mais en passant par des chemins beaucoup perchés.

Je vous préviens, il va y voir BEAUCOUP le mot bite dans cet épisode. Si cela vous dérange, il faut peut-être mieux vous arrêter dès maintenant. Comme l’écrivait Dante, « Toi qui entre ici, abandonne tout espoir ! » : mon langage ne sera pas châtié.

Que faut-il comprendre par « non pénétration » dans cet épisode ? C’est le choix, dans l’intimité hétérosexuelles, de se passer de l’insertion du sexe de l’homme dans le sexe de la femme.

Et aujourd’hui, je vais vous raconter comment j’en suis venue à pratiquer de plus en plus cet heureux renoncement.

Dans ma vie sexuelle, je vivais assez régulièrement la situation suivante.

Je rencontrais un homme qui me plaisait physiquement et à qui je plaisais physiquement. Il y avait de l’attraction entre nous, accompagnée de la lucidité sur le fait que certaines incompatibilités dans nos manières de penser, d’être et de regarder le monde écartait toute éventualité d’une attraction sentimentale. L’intention était très claire et elle n’était pas amoureuse.

Si l’opportunité de partager de la sexualité ensemble se présentait, je me disais : évidemment, ça va être sympa. Il est sexy, on va passer un bon moment et on en restera là.

Nous couchions ensemble, et même lorsque le sexe n’avait rien de transcendant, quelques heures après, je sentais que mon regard sur cet homme commencer à se transformer, comme sous l’effet d’une étrange magie. D’une seul coup, il commençait à être auréolé de charisme et d’une force de séduction indéniable. Je commençais à lui INVENTER des qualités, je changeais de point de vue sur tout ce qui était important pour moi. Je pouvais commencer à me dire « finalement, ça a peut-être du sens d’être capitaliste et d’aimer la chasse. Et puis, wow, sa collection de Bic 4 couleurs dont il m’a parlé, ça a l’air passionnant en fait. Et cette façon qu’il a de se moucher dans sa manche, c’est exquis. »

Je devenais complètement DÉBILE et AVEUGLE.

Je commençais à me sentir en amour et en admiration pour un homme que quelques heures avant je trouvais excitant, mais sans rien de plus.

Pire, il pouvait m’arriver de voir l’homme en question faire des choses que je réprouvais absolument et de me mettre à lui trouver des excuses et des bonnes raisons. Par exemple, j’ai eu une aventure de quelques semaines avec un homme qui parlait extrêmement mal aux personnes qui mendient dans la rue, ce qui est pour moi le repoussoir ultime. Parce que je crois qu’on peut mesurer sans se tromper la valeur et la pureté de coeur de quelqu’un à la façon dont il parle à ceux sur qui il croit avoir du pouvoir. J’étais horrifiée d’assister à ça, mais pas assez pour me séparer de lui. Je me disais « oh mais quand, même, c’est un chic type au fond ». Alors que non, c’était juste un goujat.

Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. Je me disais « purée, Alexandra, tu dérailles complet ».

Et ce qui me faisait flipper c’est que je savais bien que la même situation m’était déjà arrivée plusieurs fois.

Là où ça a commencé à m’intriguer, c’est quand j’ai observé qu’exactement le même scénario arrivait aussi régulièrement à mes amies. Elles aussi devenaient débile et folle dingue de mecs vraiment TRÈS CONTESTABLES dès lors qu’elles couchaient avec l’un d’eux. Voulant le revoir, imaginant un futur possible avec lui, en parlant avec des étoiles dans les yeux. Je connaissais mes amies, je connaissais parfois les hommes en question, l’équation qu’ils formaient ensemble n’était que non sens et absurdité.

Nous observions toutes impuissantes ce qui nous arrivait, en ne comprenant pas les raisons de cet entichement irraisonné et excessif.

Et un jour, je décide de parler de ce mystère avec une amie qui est enseignante de tantra. Et elle me dit « ben évidemment ! c’est le sortilège de la bite ». Bon, elle n’a pas employé du tout le terme « sortilège de la bite ». C’est le nom marketing que je donne à ce concept parce je trouve que ça sonne bien.

En fait elle me raconte que dans certains mouvements du tantra et du tao, on considère que si, en tant que femme, tu pratiques du sexe pénétratif avec un homme, c’est une façon d’accepter que l’homme place SON énergie en toi. Que tu le veuilles ou non, c’est une façon de sceller une union et une alliance avec lui. Pire même, on dit que tu deviens dépositaire du karma de l’homme avec qui tu fais l’amour. Pour résumer, tu stockes et tu te sens concerné toutes ses problématiques et histoires de vie qui ne te concernent absolument pas et ne t’appartiennent pas.

Donc, toi, tu penses avoir juste une histoire de sexe sympa et sans lendemain pour profiter joyeusement de ta soirée, et te voilà ensemencée par l’énergie du mec qui porte des Crocs et passe toutes ses vacances avec sa mère. Tu te retrouves soudain en adéquation avec sa façon d’être au monde et décidée à l’accompagner coûte que coûte sur son chemin de vie.

C’est en fait une intoxication énergétique, un véritable sortilège de bite, qu’on pourrait aussi appeler : le marabitage.

Donc je suis sur la canapé de cette amie et elle me raconte tout ça, le plus naturellement du monde. Comme si elle me disait « mais enfin, tu ne savais pas qu’on met l’adoucissant dans le 3ème bac de la machine à laver » ?

Moi, je vois ma vie qui défile, je me repasse le film de ces mecs que je me suis mise à adorer COMME MALGRÉ MOI après une ou quelques nuits passées ensemble. Et je me dis mais « wha, je dois absolument tester et vérifier cette théorie et ajouter cette possibilité dans ma relation aux hommes ».

Il ne s’agissait pas d’en faire un drame et de vivre dans la peur, mais juste d’intégrer à ma vie cette nouvelle information cruciale pour aborder la sexualité avec une attitude plus bénéfique pour moi.

Par exemple, si tu t’es déjà retrouvé à acheter l’encyclopédie des champignons en 12 volumes parce que tu as laissé naïvement entrer chez toi un vendeur en porte à porte, on ne t’y reprendra plus. Les prochaines fois que quelq’un sonne chez toi en disant « Oui bonjour Madame, je suis Jean-Michel Cabrel, j’aimerais vous présenter notre nouvelle offre de ramonage de chaudière ». Immédiatemment, tu poses ton « Ouhla, non merci, vraiment ! ». Et tu laisses Jean-Michel là où il est. Derrière ta porte. Derrière ton interphone. Derrière le champ de ta conscience. Loin. Très très loin de toi.

C’est pareil pour le sortilège de bite. Une fois que tu connais l’impact et l’enjeu, ta vie et ta posture relationnelle change à tout jamais.

Et donc, suite à cette conversation, je débute mon expérimentation, décidée à me lancer dans la grande aventure du sexe sans pénétration. Je me dit « tous les prochains hommes que je rencontre et avec qui nous avons envie d’intimité partagée : même pas en rêve, ils ne mettront leur baguette magique dans mon sexe. »

Et ça a été une expérience super intéressante et profitable

Déjà, parce que j’ai eu la chance de rencontrer des hommes qui étaient d’accord avec ça, qui comprenaient mon désir et qui ne m’ont jamais mis la pression.

J’ai pu voir que ça changeait tout pour moi. On passait ensemble de très bons moments de plaisir, mais ensuite, je me sentais avec eux dans un détachement sain. Je les aimais bien, mais je ne les plaçais plus sur un autel de 8ème merveille du monde.

Il y a quand même eu quelques perles, et ça Martin Page en parle super bien dans l’interview que je publierai sur Vulvées cette semaine, parce que culturellement, les hommes sont conditionnés à penser que leur pouvoir et leur plaisir réside dans l’insertion de leur sexe dur dans un vagin.

Par exemple, une fois, je fricotais gentiment avec un homme. Et comme nos intentions se précisent, je finis par lui expliquer mon mon choix de non-pénétration, et là, il me dit « ohlala, non c’est bon, je ne suis pas là pour jouer à touche pipi ».

Comme si j’étais une fillette et que le truc de « grand » et de bonhomme mature, c’était de mettre son sexe dans le mien. C’était quand même assez gênant comme moment. Pour lui, je veux dire.

Dire que le sexe sans pénétration est un truc de loser ou de petit joueur est un aveu de faiblesse. Ce que ça dit en sous-texte, c’est « bonjour, je m’appelle Jean-Paul, j’ai 41 ans. Je n’ai jamais connu le plaisir autrement qu’en mettant ma bite dans un vagin ou dans une tarte au pomme. Je n’ai jamais fait jouir personne avec mes doigts ou avec ma bouche. Et personne ne m’a jamais fait jouir autrement. D’ailleurs, je pense que la seule zone érogène du corps humain se trouve entre les jambes ». OUI, BIENVENUE JEAN-PAUL !

Il y a tout à déconstruire autour du culte de la pénétration. Car éviter la pénétration ne nous prive de rien. Tu peux avoir et offrir des sensations extraordinaires en utilisant tes mains, ta bouche, tout ton corps. Ce n’est pas une défaite ou une misère. C’est une augmentation merveilleuse du champ des possibles.

Le sexe non pénétratif n’est pas un sexe de préliminaires, c’est une sexualité à part entière. Et je trouve que c’est super important d’être en relation avec des hommes qui ont conscience de ça et qui ont envie de pratiquer cette sexualité riche avec enthousiasme.

Et si vous doutez de ça et que vous vous sentez sous l’influence du culte de la pénétration, il y a des bouquins de pratiques géniaux comme Jouissance Club de Jüne Plã. Elle propose de mettre de côté la pénétration pour se concentrer sur les 1001 façons de se donner du plaisir autrement, de manière décomplexée, jubilatoire et bienveillante.
C’est un livre plein de schémas sobres et élégants, qui cartographie des multiples zones qui procurent du plaisir et un inventaire des mouvements orgasmiques. C’est trop bien et il y a vraiment de quoi apprendre et s’amuser.

De plus, il y a autre chose que le tantra explique et valorise. C’est que les sexes sont magnifiques et sacrés. Tous les sexes, ceux des femmes et ceux des hommes.

Et que c’est à chacun de nous de reprendre conscience d’a quel point cette partie de nous est merveilleuse et a besoin d’être considérée et abordée avec conscience et soin. C’est le siège de notre vitalité, de la vie, de l’énergie la plus brute et puisante en nous.

C’est une chance et un privilège que d’y avoir accès et de se rencontrer sur ce plan. Donc, dans cette perspective, ce n’est pas forcément adéquat d’offrir le trésor qu’est ton sexe à quelqu’un que tu n’as pas vraiment rencontré sur le plan du coeur. Ou de coucher avec un homme en utilisant son sexe comme un dildo, sans respect, amour et révérence pour son sexe à lui.

Ce n’est pas une question new age « d’honorer le temple », de faire des prières devant le sexe, d’allumer des batonnets d’encens ou de chanter des mantras. C’est de prendre conscience que ce n’est pas un lieu de nous-même banal et neutre qu’on peut utiliser avec autant de négligence qu’un tire-bouchon ou une pince à cornichon » C’est un espace fabuleux de nous. C’est le siège de notre magie.

Et donc, aucun de nous ne devrait croire qu’être dans le lit d’une personne nous donne une habilitation immédiate pour voir accès à cette magie et à ce trésor d’elle ou lui.

Bref, tu auras compris mon point de vue : on peut passer des moments merveilleux sans pénétration. Et c’est parfois même souhaitable. Mais imaginons que tu adores la pénétration et que tu as envie de pouvoir continuer cette pratique.

Comment te protéger des conséquences néfastes du marabitage ?

Déjà, je crois que c’est bon d’avoir une attitude de prévention avec les hommes que tu rencontres :

• en mettant de la conscience dans le fait que la pénétration n’est pas sans effet sur toi et ton énergie et n’est aucunement un geste anodin.
• en évitant d’avoir du sexe pénétratif avec n’importe quel homme, pour peu que tu le trouves attirant et sexy.
• en étant claire sur ton intérêt pour le sexe non-pénétratif. Car ça exerce une sorte de sélection naturelle en faisant fuir les hommes qui sont démunis avec leur doigts et leur bouche et qui se seraient donc révélés catastrophiques dans l’intimité.

Et une fois que tu as cette attitude plus sélective, il s’agit de choisir avec beaucoup de discernement avec tu as envie de vivre cette alliance. En fait par qui tu es prête à te faire marabiter.

C’est à toi de trouver tes critères mais pour moi ce sont ceux-ci :

• avoir de nombreux rendez-vous pour vérifier que tu apprécies cet homme humainement, dans la réalité. Car si tu grandis en amour pour lui après la pénétration, ça sera uniquement pour les bonnes raisons, pas parce que tu te mets à délirer et fantasmer.
• ne donner accès à ton sexe qu’à un homme qui te plait vraiment, t’inspire et t’enthousiasme beaucoup, et que tu inspires et enthousiasme en retour. Et avec qui tu te sens en lien mutuel de coeur. Et ça, c’est quelque chose qui se construit et demande forcément du temps.
• avoir d’abord des temps d’intimité sans pénétration avec cet homme pour vérifier qu’il sait faire l’amour de manière riche et variée sans pénétration. Parce que si sa sexualité est pénétro-centrée, tu ne vas pas trop t’amuser.

Et si tu es déjà sous l’effet du sortilège de bite avec un homme que tu as désormais clairement identifié comme quelqu’un qui n’est pas bon pour toi ?

Déjà, en premier lieu, bonne chance.

Ensuite, ma recommandation est d’arrêter le sexe pénétratif avec lui. Quand on est sous l’effet du marabitage, on peut se dire qu’en faisant encore plus l’amour avec la personne, elle va devenir meilleure pour nous et qu’une connexion positive va s’établir. Mais en fait non, pas du tout, ça ne marche pas comme ça.

Je recommande donc la distance et l’éloignement pur et simple de la bite concernée. Naturellement, le sortilège finit par passer et la lucidité revient. Et te voilà prête ensuite pour ré-aborder l’espace de la sexualité avec plus de conscience et de discernement.

Bonne chance à tous et à toutes !

💛💛💛

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